Rencontre avec le Tunisien Aziz Belkhiria, cofondateur en Suisse de la startup DPhi Space

Article, 08.08.2024

À 26 ans, le jeune Tunisien Aziz Belkhiria est installé en Suisse où il est cofondateur et directeur général de DPhi Space, une startup qui vise à démocratiser l’accès à l’espace en développant des solutions de « covoiturage » pour les charges utiles des satellites. Un bel avenir se profile pour cette startup qui prépare son premier vol avec des clients commerciaux et qui a rejoint l'incubateur de l'agence spatiale européenne ESA BIC . Avant de se lancer dans cette aventure professionnelle, ce natif de Sousse a été étudiant de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et président de l'association EPFL Spacecraft Team. Son équipe et lui y ont imaginé un ordinateur de bord équipant un petit satellite qui a été lancé en janvier 2023 avec la mission Starlink. Retour sur le parcours passionnant d’un talent tunisien qui aimerait que son travail d’équipe en inspire d’autres en Tunisie.

Le Tunisien Aziz Belkhiria, cofondateur de DPhi Space
Le Tunisien Aziz Belkhiria, cofondateur de DPhi Space © Clément Loyer

Pourquoi avoir choisi la Suisse pour vos études supérieures ?

Pour l’EPFL. En règle générale, les gens se trompent en pensant que l’on part d’abord en Suisse et que l’on choisit par la suite l’EPFL avec tous les avantages du pays. Pour ma part, j’ai choisi la Suisse parce qu’il y a l’EPFL. Un ami, qui connaissait ma passion pour l’astronomie et la robotique, m’avait à l’époque recommandé l’EPFL que je ne connaissais pas du tout. Nous avions alors envoyé tous les deux notre candidature ; lui est parti étudier en prépa (France) et moi à l’EPFL avec des camarades du lycée. J’ai d’abord choisi la section microtechnique car c’était une section un peu généraliste. J’ai ensuite entamé mon Bachelor en 2017 puis mon Master.

L’EPFL, c’est une manière différente d’aborder les problèmes. C’est une école d’ingénierie qui pousse à réfléchir et non à mémoriser beaucoup d’informations. C’est une approche vraiment différente. D’ailleurs, on a un premier choc en 1ère année : on nous prévient que la moitié des étudiants s’arrêtera en cours de route et qu’une autre moitié continuera. L’EPFL m’a donc appris à aborder différemment les choses mais aussi à faire d’autres choses à côté. Quand j’étais en Tunisie, je n’étais pas engagé au sein d’une association ! À l’EPFL, au terme de mes études, j’ai appris beaucoup de choses sur le fonctionnement des associations puisque j’ai fait partie de la Junior Entreprises et de l’EPFL Spacecraft Team. Pour résumer, l’EPFL est une dualité entre apprendre à bien réfléchir et faire autre chose à part les études.

L’esprit de compétition n’existe pas du tout à l’EPFL. Le but n’est pas de réussir pour dépasser quelqu’un mais de réfléchir et innover pour soi-même et l’humanité. C’est l’entraide qui prime. Je pense que tous ces éléments séduisent beaucoup de monde.

Comment s’est passée votre expérience à l’EPFL Spacecraft Team ?

J’ai rejoint l’EPFL Spacecraft Team en septembre 2021 et j’en ai été le président de 2022 à 2023. En fait, lorsque j’étudiais à l’EPFL, un ami m’a informé que l’association EPFL Spacecraft Team était en train de recruter. Je me suis alors renseigné et j’ai trouvé leurs projets très intéressants, même s’il existe d’autres associations spatiales. 

Une particularité de l’EPFL est de nous permettre d’appliquer tout ce que l’on a étudié dans un projet qui se rapproche de ses futurs projets en industrie ou labo. Pour ma part, en tant qu’ingénieur système, je travaillais sur un projet de semestre même si cela ne se fait pas généralement en début de master. Le projet réussi, on a pu pousser la mission jusqu’à l’examen de conception préliminaire (PDR) qui permet de passer à l'étape cruciale de la conception. Je suis devenu par la suite manager dans l’équipe de l’EPFL Spacecraft Team

Aziz Belkhiria à l'EPFL en train d'assembler l'ordinateur "Bunny"
Aziz Belkhiria à l'EPFL en train d'assembler l'ordinateur "Bunny" © EPFL/Spacecraft Team

Que ressentez-vous en tant que Tunisien ?

C’est toujours une fierté même si je ne pense pas que ma nationalité fasse une différence pour l’EPFL car il y a vraiment une grande diversité au sein de l’équipe. Je suis sûr que cela doit représenter quelque chose de particulier pour la Tunisie de voir ses étudiants réussir à l’étranger. Ce qui m’importe est non seulement que toute l’équipe soit valorisée pour son travail mais que d’autres équipes puissent reproduire la même chose. En tant que Tunisien, cette expérience me permet d’apprendre des leçons et de transmettre tout cela à d’autres Tunisiens pour leur faire gagner du temps en évitant les erreurs que nous avons pu commettre.

Comment la Suisse et la Tunisie pourraient mutuellement s’enrichir ?

Nous n’avons pas forcément besoin de concevoir des satellites. Essayons en premier lieu de bénéficier des infrastructures déjà existantes car en Tunisie on manque de conscience par rapport à cela et l’association est aussi là pour cette prise de conscience. Exemple : oui, la Suisse est connue pour ses innovations mais l’infrastructure spatiale appartient à toute l’Europe. La Tunisie peut donc aussi en tirer profit. Petit à petit, elle aura sa propre infrastructure et pourra lancer son propre satellite. La Tunisie pourrait aussi fabriquer ses propres pièces et les envoyer en Suisse pour être assemblées. Réfléchir que les industries actuelles soient orientées vers le spatial pour exploiter un grand marché. C’est ce que j’ai essayé de faire en attirant l’attention sur le marché des Printed circuit board (PCB) - ces circuits imprimés sont fabriqués en Allemagne et en Chine - des câbles et des pièces métalliques. Pourquoi ne pas les fabriquer en Tunisie ? Lorsqu’il y aura une prise de conscience de la valeur de ces marchés, les investissements suivront. Ce sera par exemple bien utile à l’agriculteur qui pourra avoir une idée sur la végétation juste en consultant des images satellites. Le satellite aurait donc un impact sur son travail. Ce modèle est déjà utilisé en Suisse avec des boîtes qui ne font que cela : prendre les images satellites, les analyser et en tirer des données. En Tunisie, il suffirait donc de prendre des données quantitatives pour étudier ce que l’on a et trouver des solutions à plusieurs problèmes, comme les coupures d’eau, le changement climatique, voire même les travaux qui n’avancent pas !

L'équipe de DPhi Space réunie
L'équipe de DPhi Space réunie © DPhi Space