Rencontrer d’autres cultures, rechercher de nouvelles inspirations, réseauter à l’international: les résidences d’artistes permettent aux acteurs culturels de profiter de nouvelles opportunités tant sur le plan technique que relationnel. La fondation suisse pour la culture Pro Helvetia soutient lance chaque année un appel à candidature pour permettre à des artistes et acteurs du monde de la culture d’effectuer une résidence de maximum 3 mois en Suisse. De nombreux artistes tunisiens ont eu la chance de profiter d’une telle expérience et ont présenté une nouvelle fois leurs travaux au cours de l’exposition «Entre-Deux» organisée par l’Ambassade de Suisse en Tunisie de septembre à novembre 2021. Deux mois au cours desquels les visiteurs ont pu (re)découvrir des œuvres de disciplines différentes. Parmi eux, deux artistes plasticiens, Fadoua Dagdoug et Ali Tnani, qui ont exposé respectivement leurs travaux de tissage et de dessin. Deux expériences différentes mais toutes deux enrichissantes.
Résidence d’artiste en Suisse: l’expérience des deux Tunisiens Fadoua Dagdoug et Ali Tnani
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Article, 27.10.2022
Une résidence d’artiste est l’occasion de concevoir de nouveaux projets et d’échanger avec d’autres artistes tout en sortant de sa zone de confort. La fondation suisse pour la culture Pro Helvetia soutient régulièrement des résidences d’artistes tunisiens en Suisse. Rencontre avec deux personnalités incontournables de la scène artistique tunisienne qui en ont bénéficié en s’installant quelques mois en Suisse.
«J’ai connu de belles personnes qui m’ont ouvert les bras»
Été 1995 Fadoua Dagdoug arrive en Suisse avec son bagage de tissage et études en beaux arts mais aussi avec ses doutes. En tant qu’enseignante, c’est une période qui lui convient parfaitement pour sa résidence d’artiste. «J’ai été sélectionnée parmi ceux qui ont bénéficié de cet échange culturel artistique et j’ai choisi Lausanne pour sa grande offre de techniques de tissage», nous explique l’artiste. De juillet à octobre, elle profite ainsi de deux ateliers différents de tissage et d’une formation à des techniques qu’elle souhaitait acquérir. À ce moment-là, l’un des objectifs des Biennales internationales de la Tapisserie de Lausanne est l’expression textile. «J’ai passé les premiers mois à Lausanne, dans un chalet. J’y ai appris des techniques que je ne connaissais pas, comme celle de la fabrication du papier, ou celle du feutrage, en rapport avec la laine. On l’utilise en Tunisie pour la chéchia, nous confie-t-elle. L’une des œuvres exposées à Entre-Deux a été réalisée en partie avec cette dernière technique. J’étais très contente de tomber sur ces formations-là». Fadoua Dagdoug perfectionne alors certaines techniques ancestrales et «a le temps de réfléchir à tout ce qu’elle peut en faire et comment les dépasser».
Au fil de ses rencontres et formations, l’artiste prend aussi conscience du «regard écologique» des artistes suisses. «À l’époque, cela m’avait bouleversée. Par exemple, le nom des plantes utilisées pour la fabrication de tel ou tel objet, pour certaines couleurs… C’était assez particulier pour moi car ce n’était pas quelque chose que nous faisions dans mon pays», explique-t-elle. En fin de compte, ces découvertes l’encouragent à poursuivre. Encore aujourd’hui, «cette conscience est toujours présente», nous assure-t-elle.
Les échanges étant forcément au cœur d’une résidence, Fadoua Dagdoug côtoie d’autres artistes. Un choc des cultures qu’elle connaît au tout début de son expérience : «Ce n’est pas évident de se retrouver dans un groupe de femmes artistes étrangères surtout si vous êtes tunisienne. Il y avait cette appréhension, ou du moins c’est ce que je ressentais. À la fin, j’ai réussi à les convaincre que les choses se passaient autrement en Tunisie, que c’est notre manière de faire, que nous avions un patrimoine textile». Les appréhensions des débuts font alors place aux échanges fructueux. «J’ai connu de belles personnes qui m’ont ouvert les bras et j’ai même été invitée chez certaines d’entre elles», continue l’artiste tunisienne.
Vient enfin l’heure du bilan. «Pour moi, je relèverai plus les expérimentations, les techniques, confie Fadoua. En Tunisie, la matière première me manquait beaucoup. En Suisse, j’avais les techniciens à portée de main, l’espace et, surtout, le temps. Ce sont de petites expériences qui ont continué à me suivre. Mon séjour a été beaucoup plus une préparation au sens propre et figuré, plus sur moi-même que sur une production. Cela m’a marquée. De tels échanges sont très bénéfiques, autant pour les Tunisiens en Suisse que pour les Suisses en Tunisie. Il faudrait multiplier ce type d’expériences». Une belle aventure de résidence que l’artiste ne manque pas de partager autour d’elle, notamment auprès de sa fille : «J’ai transmis cette information à de jeunes artistes dont ma fille qui est BDéiste (@Nada). Elle a un projet avec un personnage à valeur universelle et locale. Ce personnage est né de l’envie de démontrer que l’apprentissage passe par l’image». Un goût pour l’art transmis de mère en fille. De son côté, Fadoua Dagdoug «continue à se battre en Tunisie car la tapisserie et le tissage n’y sont pas considérés comme un art majeur». Une vraie passion qu’elle pratique toujours car «c’est quelque chose qui lui fait du bien».
Ali Tnani en «mode Zurich»
Autre plasticien, expérience plus récente. Le trentenaire Ali Tnani est dans le domaine depuis 20 ans et a trois résidences d’artistes derrière lui lorsqu’il voit passer sur Facebook l’appel à candidature de Pro Helvetia. Son dossier déposé en 2019 est retenu par la fondation qui lui donne les clés de sa résidence d’artiste à Zurich pendant quasiment 3 mois. «Pour un artiste tunisien dans le circuit, il me semblait y avoir autre chose que la Cité des Arts de Paris», confie Ali. «Au départ, j’avais proposé deux choses : du dessin et des programmes pour de l’installation numérique. J’ai fini par écrire le projet de film qui est venu après. Il se trouve que le projet de départ lors de l’envoi du dossier ne correspond pas toujours à celui du début de la résidence car il peut se passer beaucoup de temps entre les deux étapes», précise-t-il
Au cours de cette résidence zurichoise, Ali Tnani apprend à introduire du trait et des formes beaucoup plus linéaires. Hormis la technique, il découvre surtout toute une atmosphère, un lieu. «C’était bien d’être dans ce quartier avec les trains, la vue sur montagne. On a vraiment le temps de travailler sans être pressé. En terme de conditions de travail, c’était super ! Je sortais faire mes courses avec mon vélo, les gens étaient cool. Avec un bel entourage et de bonnes conditions, j’étais déjà prêt à exposer tout de suite !», explique Ali. Mais cette expérience dans une ville très différente de Tunis lui a-t-elle fait perdre ses repères ? «Chacun créé sa propre mythologie, confie-t-il. Contrairement à mes autres résidences d’artistes où c’était beaucoup plus social, à Zurich j’ai choisi de me consacrer pleinement à mon projet. Je ne suis presque pas sorti à part aller à quelques expositions. Je voulais une vie plus saine, faire du sport, travailler. D’ailleurs aujourd’hui quand l’envie me prend de faire du sport et de me concentrer, je me dis qu’il faut me remettre en «mode Zurich ! Réveil à 6h, douche, petit-déjeuner, travail. Ça fait du bien ! Ce n’est peut-être pas propre à Zurich mais plus le fait d’être en résidence».
À Zurich, Ali Tnani a tout-de-même l’occasion de faire des rencontres artistiques et ne rate pas les expositions. «C’est toujours une belle occasion de visiter des centres d’art, notamment à Zurich où c’était très bien. Les artistes doivent rester à la page en visitant par exemple des expositions d’artistes internationaux, explique-t-il. Personnellement, je suis allé voir l’exposition d’une artiste anglaise qui a fait un film avec une dizaine d’écrans dans la salle. Je suis resté une ou deux heures à analyser le tout! Les artistes ont besoin d’autres artistes pour savoir comment avancer. Ça devrait être la normale et le format résidence est vraiment la meilleure chose. Tout le monde en a besoin. Il y a 10 ans, j’étais content d’être à la Cité des Arts de Paris. Après j’aimerais bien être dans une super résidence à New York ou Tokyo». Quid de Tunis ? «C’est petit. Il y a malheureusement aussi des problèmes qui empêchent que la Tunisie ne devienne une destination culturelle. Ça tourne autour d’un noyau de 2-3 galeries et centres privés mais ce n’est pas suffisant. Je pense que la Tunisie a un potentiel pour organiser des résidences, particulièrement pour la jeune génération. Là par exemple, il y a des artistes tunisiens en résidence au B7L9, le festival Gabès Cinéma Fen qui va organiser des résidences en amont, etc. Je crois savoir que de nombreux artistes tunisiens s’organisent, font des expos dans des villas et appartements. J’avais déjà vu cela à Zurich avec des artistes particuliers, des commissaires», confie l’artiste.
Alors qu’il est supposé rester 3 mois, Ali Tnani est rapatrié 10 jours avant la date ultime, début de la pandémie de COVID-19 oblige. Qu’en est-il tout-de-même du bilan de cette résidence d’artiste ? «Pour un petit projet de 3 mois, c’était bien mais court. On n’avait pas vraiment le temps d’enclencher une suite sur place. Je pense que cela aurait pu être mieux avec un projet de 6 mois ce qui m’aurait peut-être permis de rencontrer plus de personnes locales intéressantes», nous explique-t-il. Chacun sa résidence, chacun son expérience. Seule l’envie de découverte et les riches échanges entre les cultures suisse et tunisienne les réunissent.